On a commencé par me gaver de chiffres et de lettres, ensuite de nombres et de mots, et plus tard de théorèmes et de théories. Déjà tout petit, le soir avant d'aller au lit, ma très chère grand'mère me racontait des histoires qui étaient en réalité des leçons éducatives prodiguées sous forme de contes pour enfants afin de m'y intéresser.
                                       On m'a appris ce qui est  bénéfique et ce qui est néfaste, ce qui est beau et ce qui est laid, ce qui est bon et ce qui est mauvais... Au fil des ans, toutes sortes de règles et de conduites se sont entassées dans ma tête : des interdits, des tabous, des obligations, des devoirs, des contraintes, et quelques menus droits.
                                      On a dispersé en moi les graines de leurs connaissances afin de perpétuer, d'abord la germination et ensuite la semence d'une culture héritée depuis des temps improbables. J'aurai préféré me voir aujourd'hui, investi de ce qu'ils ignorent plutôt que gorgé de croyances éloignées du réel et saturé de coutumes dénuées de tout fondement.
                                        "Une adhésion à toute autre forme de culture, serait un danger permanent pour mon épanouissement ici-bas et un purgatoire certain dans l'au-delà !" ma-t-on toujours fait comprendre presque avec véhémence.
                                        J'ai été dans l'obligation de cultiver une sorte de culturalisme qui, par son opposition à la nature même, a limité étroitement ma liberté en m'enfermant peu à peu dans la quasi-certitude que seul ce que l'on m'enseigne est doué de raison et doit donc être respecté scrupuleusement. Mais les éminents ouvrages que j'ai eu l'opportunité de feuilleter et les quelques voyages que j'ai eu la chance d'effectuer, avaient totalement métamorphosé mes convictions accumulées au long des années passées.
                                        Les livres et les pérégrinations ont commencé d'abord par m'imprégner d'hésitations, ensuite par m'imbiber de raisonnements incertains et plus tard, par me submerger de doutes. Mes modestes réflexions d'alors m'avaient entrouvert une petite lucarne par laquelle j'ai pu percevoir les oeillères fixées sur mes oreilles à l'instar de celles que l'on pose au cheval de trait pour l'empêcher de voir sur les côtés.   
                                        J'ai alors compris que la culture, bien qu'instrument indéniable permettant à quelques-uns de s'épanouir dans la diversité et dans le pluralisme, était surtout un obstacle cloîtrant beaucoup d'autres dans l'individualité et dans le communautarisme.

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